Je suis allé voir le National World War II Museum, où travaille mon pére depuis l’an dernier. Ayant lu le “mission statement” du musée dans le bureau de mon père, j’avais peur au début que ce musée se pencherait vers la idéalisation du pouvoir américain, une simple reduction de la guerre à une lutte du Bien contre le Mal, etc etc. Évidemment, tout cela ne serait guère un travail d'histoire, c’est plutôt un enjeu politique, voire propagandiste. Cependant, j’étais content en faisant le tour des expositions de trouver une perspective sur la guerre beaucoup plus honnête. On n’exclut pas un regard sur les actes brutales de la part des américains, y compris des bombardements des villes japonaises avant Hiroshima et Nagasaky. J'ai bien apprecie un plan du Japon qui montre la pourcentage de destruction de chaque ville japonaise avec le nom d'une ville americaine de la meme taille affiche en parentheses. En plus, il y a des affiches qui montrent comment le racisme s’est exprimé dans la presse des deux pays, avec des bandes dessinés de Roosevelet avec des grosses dents ensanglantées et beaucoup d’images des japonais qui mangent de la chaire humaine. Cette partie de l’exhibition sur le théâtre Pacifique, étalée sur des murs qui ondulent (telles des vagues !), est suivie par celle qui présente les images les plus choquantes : une jeune femme américaine, toute belle, qui écrit une lettre, sa main posée près d’un crâne japonais que son chéri lui a envoyé, les têtes décapitées empalées sur des tanks, les corps oubliés dans les bandes de sables. J’ai reculé devant la grotesquerie de ces images, mais elle est si exagérée qu’elle semble hors du domaine humaine, oui, inhumain. C’est peut-être en cela qu’on trouve une des vraies injustices de la guerre, que les actes inhumains produisent des traces qui sont si affreux qu’il nous est impossible de les percevoir pleinement. Ce qui doit évoquer la sympathie échoue par faute de son caractère quasiment fantastique. Donc, je suis choqué, mais ce n’est qu’un éclair fugitif qui illumine trop brièvement l’horreur représenter par l’image devant moi. Ce n’est qu’avec la lecture de la correspondance entre les soldats et leurs familles que je deviens vraiment ému, engagé au cœur comme aux yeux.
Ceci est un autre point fort de ce musée, comme celui à Caen, qu’on a ce contact avec la vie intime d’un seul soldat, qu’on se rend compte du fait que la guerre, même une guerre mondiale, est fait par des individus avant et après qu’elle est faite par des nations. D’après Staline, « Un mort est une tragédie ; un million est une statistique. » Son appréhension de cette vérité l’a mené à une politique qui créait des « statistiques » impensables, mais pour nous, visiteurs des musées, de l’histoire, descendants de ceux qui ont fait la guerre et de ceux qui ont été fait par la guerre, la première partie de l’axiome est celle qui résonne avec plus de force. Il y a eu une petite exposition avec les dernières lettres qu’un soldat de 34 ans a reçues de sa famille, à côté des dernières qu’il les a envoyées. Son fils, âgé de 9 ans, lui écrit une lettre d’une page, pleines de fautes d’orthographe, sur ce qu’il apprend à l’école, sur combien sa sœur est invivable, sur le temps qu’il fait chez lui. Son père lui répond, exprimant son désir d’être comme Père Noël, arrivant à travers la cheminée de la maison avec ses bras pleins de cadeaux. Il essaie d’expliquer pourquoi on fait la guerre, « parce que personne n’aime quand quelqu’un essaie de leur forcer la main… », il lui dit d’aider sa mère dans la cuisine, avec la nettoyage de la maison. La dernière lettre est écrite le 14 février à sa femme. On sent sa fatigue ; il se permet de lui parler plus franchement qu’il ne fallait dans sa lettre à ses enfants. Et puis, le dernier objet est un télégramme WESTERN UNION tragiquement impersonnel notifiant la femme de la mort de son mari. Quatre phrases. « Deeply regret to inform you that your husband …. was killed in battle. » On lui donnera des renseignements sur le rapatriement du corps. Pour la sécurité de ses compagnes, ne dites a personne la compagnie dont il faisait partie. Fin.
« Deeply regret to inform you » ! « Deeply regret » ! Il n’y a personne qui assume ce regret, cette phrase commence sans sujet comme si elle était un énoncé du Dieu, issue d’une voix qui n’a pas besoin de s’identifier mais qui est doté du pouvoir de tuer, de choisir qui vit et qui meurt. Je trouve cela terrible, cette absence au début, une absence cruellement paradoxale : celui qui est nommé n’est plus, celui qui reste anonyme existe toujours, tout puissant.
L’arrivée de ce télégramme, même dans le contexte de cette boîte en verre de musée, affichée tel un papillon mort, est brusque et touchant. Le glissement des mots intimes, écrits à la main avec soin, au message tapuscrit et officiel, est peut-être l’expression le plus succincte de la transformation d’un homme, un être aimant et aimé, haïssant et haï, en matière statistique, membre invisible des millions qui seront comptés dans les bilans sans sens de l’après-guerre. On peut garder tous les tanks, et les avions et les bateaux Higgins dans les hangars : pour moi, ces quatre petits bouts de papier valent tout le reste du musée.
Ceci est un autre point fort de ce musée, comme celui à Caen, qu’on a ce contact avec la vie intime d’un seul soldat, qu’on se rend compte du fait que la guerre, même une guerre mondiale, est fait par des individus avant et après qu’elle est faite par des nations. D’après Staline, « Un mort est une tragédie ; un million est une statistique. » Son appréhension de cette vérité l’a mené à une politique qui créait des « statistiques » impensables, mais pour nous, visiteurs des musées, de l’histoire, descendants de ceux qui ont fait la guerre et de ceux qui ont été fait par la guerre, la première partie de l’axiome est celle qui résonne avec plus de force. Il y a eu une petite exposition avec les dernières lettres qu’un soldat de 34 ans a reçues de sa famille, à côté des dernières qu’il les a envoyées. Son fils, âgé de 9 ans, lui écrit une lettre d’une page, pleines de fautes d’orthographe, sur ce qu’il apprend à l’école, sur combien sa sœur est invivable, sur le temps qu’il fait chez lui. Son père lui répond, exprimant son désir d’être comme Père Noël, arrivant à travers la cheminée de la maison avec ses bras pleins de cadeaux. Il essaie d’expliquer pourquoi on fait la guerre, « parce que personne n’aime quand quelqu’un essaie de leur forcer la main… », il lui dit d’aider sa mère dans la cuisine, avec la nettoyage de la maison. La dernière lettre est écrite le 14 février à sa femme. On sent sa fatigue ; il se permet de lui parler plus franchement qu’il ne fallait dans sa lettre à ses enfants. Et puis, le dernier objet est un télégramme WESTERN UNION tragiquement impersonnel notifiant la femme de la mort de son mari. Quatre phrases. « Deeply regret to inform you that your husband …. was killed in battle. » On lui donnera des renseignements sur le rapatriement du corps. Pour la sécurité de ses compagnes, ne dites a personne la compagnie dont il faisait partie. Fin.
« Deeply regret to inform you » ! « Deeply regret » ! Il n’y a personne qui assume ce regret, cette phrase commence sans sujet comme si elle était un énoncé du Dieu, issue d’une voix qui n’a pas besoin de s’identifier mais qui est doté du pouvoir de tuer, de choisir qui vit et qui meurt. Je trouve cela terrible, cette absence au début, une absence cruellement paradoxale : celui qui est nommé n’est plus, celui qui reste anonyme existe toujours, tout puissant.
L’arrivée de ce télégramme, même dans le contexte de cette boîte en verre de musée, affichée tel un papillon mort, est brusque et touchant. Le glissement des mots intimes, écrits à la main avec soin, au message tapuscrit et officiel, est peut-être l’expression le plus succincte de la transformation d’un homme, un être aimant et aimé, haïssant et haï, en matière statistique, membre invisible des millions qui seront comptés dans les bilans sans sens de l’après-guerre. On peut garder tous les tanks, et les avions et les bateaux Higgins dans les hangars : pour moi, ces quatre petits bouts de papier valent tout le reste du musée.
réfléchissant,
Candidiot